La dame de Wachiboux

 

La Dame de Wachiboux:

Le domaine de WACHIBOUX, situé au sud de Dolembreux, presqu’à mi-chemin entre ce village et celui de LINCÉ, est connu à une époque reculée.

Pendant longtemps, le site fortifié servit de relais tant au voyageur isolé qu’aux charrettes, carrosses et autres véhicules attelés.

La voie Romaine qui reliait LA GOMBE à CORNÉMONT était coupée à LINCÉ par un chemin de traversée carrossable qui rejoignait LIEGE par BEAUFAYS. Cette piste s’appelle, encore aujourd’hui, Vieille voie de Liège.

Son tracé n’a guère changé, la largeur de son assise non plus.

A l’époque où l’évènement qui va vous être conté se passe, le relais fortifié existe toujours.

Il s’agit d’un corps de logis en forme carrée, come on en retrouve dans notre région, à savoir :

- La maison de DAMRE,
- La maison LEMEREUR de LOUVEIGNÉ,
- Le logis initial de XHIGNEZ, et pour ceux que ça intéresse, la tour carrée du château de FANSON (XHORIS).

Cette masse rectiligne est entrecoupée de fenêtres basses et carrées, vestiges agrandis de meurtrières antiques. Elle s’élève sur trois étages, plus les combles. Les murs atteignent des épaisseurs jusqu’à 1m20.

A gauche en entrant dans la cour, et de face, les écuries dont le pignon voisine les 10 mètres.

Sur la droite, disparues, existaient trois petites maisons servant de logis aux domestiques. Le tout était entouré de hauts murs, l’isolement du lieu le nécessitait.

Depuis 1636, le propriétaire terrien est un sieur LEHAIRE dont les origines échappent à notre imagination mais dont la lignée est continue jusqu’aux portes de ce siècle.

La famille LEHAIRE avait des attaches avec toutes les familles importantes de l’endroit.

Il était de coutume de marier, pour ne pas morceler le bien mais pour l’agrandir plutôt, le fils aîné à une héritière certaine de l’endroit et dont la famille était honorablement connue.

On évitait soigneusement d’éparpiller les autres enfants de manière telle qu’on puisse maintenir à l’ensemble un but patriarcal.

* * *

Nicolas LEHAIRE était en 1779 le propriétaire de WACHIBOUX. Il avait épousé Lambertine BERLEUR qui lui avait donné six beaux enfants.

Dans le lot, la petite Jeanne, légèrement anémique, avait fait l’objet de soins attentifs et les lourds travaux des écuries lui avaient été épargnés. Le relais possédait un restaurant où Jeanne aidait à servir la clientèle.

Vint la puberté, ses parents avaient pris le parti de destiner leur Jeanne à Célestin NANDRIN, fils cadet d’une famille très honorable de la paroisse.

Chez les NANDRIN, on était maréchal-ferrant de père en fils.

Mais la beauté naissante de la frêle Jeanne avait attiré les convoitises de plus d’un Monsieur de passage au relais et quelques-uns s’étaient déjà attardés espérant pouvoir toucher le cœur de l’innocente enfant.

Mais l’époque était à la guerre… Les troupes étrangères sillonnaient le pays, la révolution française faisait craindre le pire et déjà l’Autriche était aux frontières.

Pendant quelques temps les troupes occupèrent la région, casernant çà et là dans les fermes, les châteaux, tout en se mêlant à la vie des paysans.

Il va sans dire que ces beaux teutons ne laissèrent pas le cœur de nos filles indifférent. Plusieurs tombèrent en pamoison devant la force, le verbe de cet envahisseur éphémère… et notre Jeanne se laissa tenter par un bel officier qui portait le joli nom de Franz von AMOR, que sa passion pour Jeanne avait fait surnommer Franz BELAMOUR.

Ce Franz était de noble famille et tout de suite il fut adopté par l’entourage LEHAIRE qui voyait en lui un soutien devant la horde occupante et un appui en cas de danger. Tout compte fait, Célestin n’avait qu’à être vigilant… encore que naïf, il s’imagina récupérer son bien au départ des barbares.

Mais le FOLAMOUR avait des ressources et la famille autrichienne lui envoya de beaux tissus, de belles robes, des diamants sertis d’or, et l’un de ceux-ci appartenant au joyau le plus pur fut donné par Franz à Jeanne, en guise d’amour.

Dans un écrin vieil or, scintillait une perle d’une éclatante beauté, couleur émeraude.

Jeanne se laissa séduire devant un tel cadeau et en même temps que son cœur, elle offrit à Franz, sa vie.

Les événements se précipitaient et en septembre 1794, l’Autriche battue d’abord à FLEURUS, piétine sur les hauteurs de SPRIMONT avant d’être renvoyée au-delà des frontières germaniques.

Fini le beau rêve ! Que reste-t-il du FOLAMOUR sinon un petit ange né 5 mois après son départ et qui a pour prénom Frieda et le bijou que l’on regarde parfois comme pour se souvenir…

Pourtant, il arrive que le beau Franz donne de ses nouvelles. Ainsi, pas plus tard que le mois dernier, il envoya son écuyer le plus précieux, un belge engagé dans les armées autrichiennes, de ceux-là qui sont tantôt les entremetteurs, tantôt les espions, pour donner de l’espérance à Jeanne et l’enjoindre d’accepter, parce que sa famille le réclame, de prêter à la copie son fameux bijou…

Un joli cœur, cet écuyer, qui parle bien et convainc Jeanne. Il ne lui déplaît pas, après tout, c’est en quelque sorte un morceau de son Franz.

La copie fut faite, et l’écuyer remercia et l’on refit des adieux.

* * *

De retour aux armées, notre écuyer roublard s’en vint trouver son commandant, notre Franz… auréolé d’une victoire récente, obtenue facilement sur un contingent français en déroute dans la région de DORTMUND.

Et tout de go, sans tambour ni trompette, il lui raconte que, de retour en Belgique auprès des siens, il était passé par hasard à WACHIBOUX et avait trouvé Jeanne dans de telles dispositions à son égard, qu’il en avait fait tout bénéfice puisque, en sus de son amour, elle lui avait donné son bijou le plus cher.

Franz dut se rendre à l’évidence en voyant le cadeau le plus précieux qu’il avait fait à Jeanne.

Oubliant son devoir, il parvient à quitter l’armée et rentré à VIENNE, il n’a de soucis que de se requinquer et de repartir, déguisé en marchand, vers le pays où son amour a été bafoué.

Et, un soir d’hiver alors que le client s’était fait rare, à cause de l’intempérie, la famille LEHAIRE attablée pour le souper, sursauta par le bruit que l’ont font en frappant violemment sur la porte cochère.

Nicolas, le père, n’était pas rentré et l’on envoya le fils aîné ouvrir la porte.

Quelle ne fut pas sa stupéfaction de voir apparaître le beau Franz, enfoncé chaudement sous un manteau fourré.

L’enfant, qui dormait près de l’âtre, se réveilla en sursaut et se mit à pleurer. Jeanne, étonnée et ravie à la fois, prit l’enfant et le présenta au nouveau venu qu’elle avait reconnu.

Bouillant de colère, celui-ci saisissait l’enfant en criant : « Dame de WACHIBOUX, dame perfide… » et, sans écouter les cris de la mère il lança le petit être contre la muraille.

Tout le monde est debout… Il empoigne Jeanne et la traîne dehors. Il l’attache à la queue de son cheval et, sans que personne n’ait pu intervenir, il lance sa monture au galop…

« Out’haye è bouhon
On n’vèyéve pu qui l’cler song
So l’nivaye a pone toumeye… »

Dans sa fureur, il conduit son cheval de WACHIBOUX à LINCÉ…

Il s’arrête cependant pour engager un tragique dialogue :

« La broche que je t’ai donnée, où donc l’as-tu placée ?... »
« Prenez la clé à mon côté… au fond du coffre vous la trouverez… »

Alors le marchand s’arrête et comprenant soudain qu’il a été joué par un menteur et lâchement trompé par un faux rapport, se met à la recherche d’un médecin.

Agonisante, on étendit Jeanne sur la table du Docteur JAVAUX à LINCÉ… mais la pauvre femme en expirant put encore souffler… « Jésus… »

Fou de désespoir, le beau Franz parcourut longtemps nos régions, le temps qu’il lui fallut pour retrouver et occire le traître dénonciateur.

Puis on ne revit plus le FOLAMOUR dans nos régions.

Le seul souvenir est gravé dans la pierre du pignon à rue de WACHIBOUX – 1794 – et des lettres d’inspiration gothique… sont-ce là les initiales des malheureux amants ?

Parfois, lorsque le vent se déchaîne, l’on croit entendre dans la cheminée du logis principal, la voix de Jeanne se lamentant sur son sort tragique…

Parfois aussi, au solstice d’hiver, on frappe violemment à la grande porte.

C’est peut-être ici que finit l’histoire…

… et que commence la légende.